Ceci n’est Pas Un Professeur
by Daphne Vallas
En tant qu’enseignante basée au Royaume-Uni mais éduquée en France, le dilemme persiste quant aux concepts de « détention du savoir » (ownership of knowledge) et « facilitation de la transmission du savoir » (facilitation of knowledge). Veuillez pardonner l’imperfection de la traduction : elle est le lot de tout enseignant de FLE formé en pays anglo-saxon cherchant à transposer des concepts pédagogiques qui ne voyagent pas toujours très bien d’une culture à l’autre. Suite à ma formation CELTA, j’ai eu le privilège d’être professionnellement accueillie et pédagogiquement nourrie par IH London au sein d’une équipe de stars du monde de l’édition EFL. Le mot d’ordre était, sous l’égide de l’approche communicative, qu’une quasi-totale liberté était accordée aux enseignants comme aux apprenants quand il s’agissait d’imperfection linguistique. Devenue formatrice d’enseignants de FLE, j’ai trouvé libérateur de donner les consignes suivantes :
Aux étudiants:
- Faire des erreurs fait partie du processus d’apprentissage
- L’autocorrection et la correction par les pairs renforce le processus d’apprentissage
- Faire des erreurs n’empêche pas de communiquer.
- Il n’est pas pertinent de souligner (oralement ou par écrit) toutes les erreurs car cela peut avoir un effet décourageant et castrateur.
Aux enseignants stagiaires:
- Si vous ne connaissez pas la réponse à la question d’un étudiant, rassurez-vous, ce n’est pas grave ! Dites-lui que vous y répondrez à la prochaine leçon.
- Vous n’est pas supposés tout savoir de la langue française. Vous apprendrez avec l’expérience.
Consignes encourageantes pour beaucoup mais aussi source de confusion pour certains.
Encourageantes dans le sens où elles permettaient de balayer les terrifiants souvenirs d’école où il fallait enchainer les exercices structuraux ad nauseam dans le but d’éradiquer la bête noire qu’était la « faute ». Source de confusion cependant pour ceux qui voient en l’approche mentionnée ci-avant le seul et unique chemin permettant de nous rapprocher de la perfection linguistique.
Le couple idyllique que l’enseignant et l’apprenant sont supposés former depuis l’avènement de l’approche communicative et de ses rejetons (approche actionnelle, dogme…) est basé sur un système d’échange et de partage des connaissances et savoir-faire. L’enseignant n’est pas le seul détenteur du savoir, il est aussi là pour apprendre de ses élèves. L’apprenant progresse grâce à l’immense degré d’autonomie qu’on lui donne et au travail qu’il accomplit avec ses pairs. Un vrai conte de fée au pays du FLE me direz-vous. A voir…
Tout en étant entièrement en faveur de cette approche, force fut de constater qu’elle pouvait aussi soulever des questions, des inquiétudes et une possible indignation de la part de certains de mes étudiants en raison de l’écart entre les attentes du milieu universitaire (où le spectre de l’examen dicte en partie l’approche pédagogique) et celles des cours pour adultes (où l’idée de faire des devoirs est comprise dans un sens très large !).
Aux yeux de l’apprenant, l’approche pédagogique la plus séduisante ne sera pas toujours celle dont les livres de didactique font l’éloge. Il y a un vécu d’apprentissage dont il est difficile de se défaire car il est parfois fondé sur des critères culturels fortement ancrés. Au début de ma carrière, j’ai eu des étudiants venant exclusivement de pays anglo-saxons et en grande majorité du Royaume-Uni. Un contexte idéal dans lequel appliquer les méthodologies empruntées au monde de ELT (English Language Teaching). On se formalise peu sur les fautes, on écrème la grammaire au maximum (pour la majorité des Britanniques la grammaire n’a pas été enseignée à l’école et des termes tels que « nom », « adjectif » ou « forme négative » équivalent au langage algébrique) et le professeur circule dans la classe pour faciliter l’échange de connaissances. Puis le paysage estudiantin a progressivement changé. Il est devenu plus diversifié en termes d’expériences d’apprentissage des langues. Les étudiants avaient soudainement des attentes différentes quant au rôle que l’enseignant est supposé tenir au sein de la classe. Ironiquement, les réflexes qu’il avait été nécessaire de désapprendre en début de carrière semblaient être réclamés à cor et à cri par cette nouvelle vague d’apprenants.
Première épiphanie : l’approche communicative, si elle n’est pas reformatée en fonction du contexte culturel, peut dérouter, déplaire, voire rebuter. De nombreux étudiants des pays de l’Est ou orientaux montrent souvent une patience limitée pour les activités de groupes car ils attendent du professeur qu’il soit l’élément dominateur, décideur et l’ultime point de référence. Bref, qu’il soit le …professeur !
Attardons-nous donc sur la description de la fonction de l’enseignant : en France à la fin du XIXe siècle, Jules Ferry considérait que le professeur, s’il était expert en sa matière, savait ipso facto transmettre son savoir sous forme d’enseignement. De nos jours, cette perception demeure vraie en France ainsi que dans un très grand nombre de pays.
De fait, le rôle tenu par l’enseignant sous-entend qu’il :
- Doit montrer à sa classe qu’il en sait plus que tous les élèves réunis (l’expertise dans son domaine étant sa vertu absolue)
- Fournir la réponse correcte à une question posée (la correction par les pairs peut être vécue comme peu fiable)
- Montrer une claire compartimentation des objectifs linguistiques (grammaire, vocabulaire, conjugaison…)
Vous comprenez maintenant le dilemme qui m’anime…
Nous nous attachons à identifier les différents styles d’apprentissage sur le modèle des intelligences multiples de Gardner pour mener une pédagogie différenciée efficace. Ayant été formés à nous « mettre dans les souliers de l’apprenant » nous imaginons une pléthore d’activités qui vont tour à tour le stimuler, l’amuser, le faire réfléchir et l’aider à mémoriser. Nous devrions aussi imaginer quel contrat pédagogique nous pouvons passer avec lui. Un contrat qui tiendrait compte des attentes basées sur son vécu d’apprentissage. Vécu enraciné dans un contexte culturel que nous ne maitrisons pas toujours.
Deuxième épiphanie : en tant qu’enseignante, je ressens plus de plaisir et d’aise à guider, aider et encourager mes élèves en ne reproduisant pas le schéma d’enseignement rigide où le professeur domine du haut de son estrade en dispensant sa science. Vingt-cinq années de bons et loyaux services dans le monde de la pédagogie m’ayant persuadée du bien-fondé de mon choix. Or bizarrement, lorsque j’assiste à des formations en tant que stagiaire, je retourne illico dans le carcan de l’éducation à la française en attendant que l’intervenant prenne les choses en main et fasse son travail en fournissant une réponse claire et précise (photocopie à l’appui si possible) à la question à laquelle il nous a demandé de « réfléchir ensemble » comme pour éviter de faire son travail. Vous imaginez le soulagement que je ressens à ne pas être une de mes propres élèves !
Et vous ? Aimeriez-vous être élève dans votre propre classe ?
Author’s Bio: Daphne Vallas est enseignante, formatrice, consultante pédagogique et auteur de matériel spécifique à la formation et à l’enseignement du FLE. Elle a été coordinatrice du Département de français et responsable de la formation des enseignants et des formateurs du Départements de Langues Modernes à IH London pendant 18 ans. Elle a également enseigné l’anglais à IH Paris et été chargée de la formation et du suivi pédagogique des enseignants et formateurs à IH Nice et IH Genève. Elle est actuellement inspectrice pour IHWO et enseignant-chercheur à l’Université de Westminster où elle enseigne le français, assure la formation continue des professeurs de langue et la conception de matériel didactique. Consultante pour Network For Languages, elle anime des séminaires et contribue à leur blog sur le développement professionnel des enseignants. Ses recherches portent sur l’approche actionnelle et l’interculturel en classe de langue.