L’écriture inclusive a-t-elle sa place dans la langue française ?

by Estelle Helouin

Depuis la publication par Hatier, en mars, d’un manuel scolaire en écriture inclusive, la polémique bat son plein. Académiciens, ministres, professeurs, auteurs et autres historiens défendent passionnément leur position. 

Vous aurez remarqué que, dans la liste ci-dessus, je n’applique pas, moi-même, un des principes de l’écriture inclusive… Ou peut-être que vous n’aurez rien remarqué du tout si, comme moi, la violence du débat vous a surpris et que vous vous demandez quelle mouche a piqué les Français. 

Petit rappel  

Si, tout comme moi, vous y avez prêté peu d’attention jusqu’à maintenant, voici tout d’abord un résumé des principes de l’écriture inclusive : 

– Accord de tous les grades/titres/professions/fonctions etc. en fonction du genre de la personne décrite. Donc s’il s’agit d’une femme : la professeure, l’autrice, la pompière etc. 

– Pour les généralités, ou lorsque le sexe de la personne n’est pas connu, substitution, si possible, des mots « homme » et « femme » par des termes universels tels que « être humain ».  

– Abolition de la règle : « le masculin l’emporte sur le féminin ». Pour ce faire, les pluriels représentent les deux sexes grâce à l’utilisation du point médian (ex. : les étudiant.e.s, les acteur.trice.s) ou bien l’on mentionne les deux (ex : les étudiants et les étudiantes). La règle est également abolie pour les accords et est remplacée par la règle de proximité. De ce fait, on n’écrit plus « l’acteur et son épouse étaient très beaux », mais « l’acteur et son épouse étaient très belles ». 

Le pour et le contre 

Il est assez facile de deviner, si l’on ne les connaissait pas déjà, les raisons des deux camps pour ou contre ce type d’écriture. On peut aussi facilement les schématiser : égalitarisme (pour les pro) contre protection du langage (pour les anti). 

Le débat devient plus complexe, cependant, lorsqu’on décortique les arguments de chacun. 

Une contradiction en soi ? 

Au premier abord, l’argument de l’écrivain, pardon, l’écrivaine Eliane Viennot selon lequel « le langage structure notre pensée. Expliquer aux enfants que ‘le masculin l’emporte sur le féminin’ ne peut guère contribuer à forger des consciences égalitaristes” » peut sembler contradictoire, car on parle ici d’écriture inclusive et non du langage oral.  

D’une part, il semble indiscutable que la grande majorité des transformations que subit une langue s’opèrent à l’oral. La forme écrite et les règles de grammaire suivent, confirment ou résistent à ces changements, et non l’inverse. L’étymologie-même du mot langue (et bien entendu, pas seulement en français) semblerait prouver que l’oral décide de l’écrit et non l’inverse. Doit-on ajouter à cela qu’on apprend à parler avant d’apprendre à écrire et que l’homme, je veux dire l’être humain, ne savait pas écrire quand il ou elle a commencé à parler ?  

D’autre part, si l’on suit le raisonnement d’Elianne Viennot, les nouvelles règles, pour changer les mentalités, devraient également s’appliquer à l’oral. Imaginons un instant ce que cela donnerait : 

« Les électeur.trice.s ici présent.e.s, soucieux.euses aujourd’hui d’avoir fait le bon choix, seront peut-être demain de nouveaux.velles partisan.e.s, qui, à leur tour, convaincront leurs conjoint.e.s… ». 

Cet exemple seul permettrait de rejoindre les adversaires de ce type d’écriture, et de soutenir l’Académie française en la qualifiant de « langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité”. 

Cependant, l’histoire offre à son tour un contre argument au raisonnement selon lequel les règles du langage se développent en fonction de l’usage et non l’inverse. Les hommes (et cette fois-ci, seulement les hommes) ont bel et bien masculinisé la langue française où, jusqu’au XVIIème siècle, les noms de professions au masculin et au féminin se côtoyaient sans soucis. Ainsi, les autrices allaient rendre visite à leurs amies peintresses, jusqu’à ce qu’une réforme décide que la forme « noble » (entendez la forme masculine), devait être imposée. 

Le langage change-t-il vraiment les attitudes ? 

Reste à savoir ce qui fait évoluer les attitudes. Toutes peintresses qu’elles soient, ces femmes de l’ancien temps n’avaient ni le droit de vote, ni de gentils conjoints qui faisaient le ménage. D’où la question : le langage peut-il réellement influencer les attitudes ?  

Je me demande également si, dans la tête des petits francophones qui apprennent à écrire, les règles du masculin et du féminin ont un rapport avec les sexes. Les deux concepts sont clairement différenciés dans la langue française : on parle de genre en grammaire et de sexe pour les hommes et les femmes. Pourquoi donc politiser la langue à l’école alors que ses apprenants n’y voient aucun mal ? Loin de moi l’idée de trivialiser le débat, mais pour respecter le principe de l’égalitarisme, faudra-t-il l’appliquer également aux animaux et dire que le/la chien.ne est le/la meilleur.e ami.e de l’être humain ? Qu’en est-il des objets qui, jusqu’à maintenant étaient à l’abri du sexisme, mais ont pourtant tous un genre ? Devront-ils également suivre les nouvelles règles d’accord ? 

Quelle inclusion ? 

Considérons à présent le principe d’inclusion. L’Angleterre, où je vis actuellement, est sans doute l’un des pays qui se soucie le plus d’être inclusif et politiquement correct. N’ayant que très peu d’exemples de féminin et de masculin dans leur langue, ils se préoccupent peu de ce problème, même si certaines « actresses » (actrices) insistent pour qu’on les appelle des « actors » (acteurs). Bizarrement, l’égalité pour elles seraient que tout le monde utilise la forme masculine. En revanche, deux des sujets les plus discutés en ce qui concerne l’inclusion sont l’orientation sexuelle et l’identité sexuelle. Cela m’amène à poser la question : de quelle inclusion parle-t-on ? Ne risque-t-on pas finalement de provoquer un système d’exclusion (par exemple, des transgenres) qui n’existe pas si l’on soutient l’argument de l’Académie française selon lequel le genre masculin est le genre neutre. Libération illustre assez bien ce risque avec l’exemple de préfète : 

« Que faire de «la préfète», qui peut tout à la fois désigner la femme du préfet ou la préfète en titre ? […] la question se pose aussi pour les «monsieur le préfet» mariés à des préfètes, sans parler du casse-tête annoncé si la madame la préfète épouse une femme ou monsieur le préfet un homme… ». 

Sans même parler d’identité sexuelle, il est à noté que seules les femmes (ou plutôt certaines femmes, car nombre d’entre nous ne se sentaient pas moins féminines quand nous étions des professeurs sans « e ») se plaignent du sexisme de la langue. En revanche, si l’on pousse l’argument, on pourrait se demander pourquoi les hommes ne souhaitent pas retirer les « e » des secrétaires. Ils ne se plaignent pas non plus d’être des personnes charmantes ou des vedettes exceptionnelles. 

Quel genre d’écriture ? 

Bien entendu, le débat fait rage en éducation, puisque c’est de l’apprentissage de la langue dont on parle le plus (nos parents et grands-parents n’étant probablement pas disposés à réapprendre à écrire).  

Cependant, imaginons à nouveau un scénario où l’écriture inclusive serait imposée. Faudrait-il l’appliquer également à la littérature ? Au-delà de la difficulté à lire des textes en écriture inclusive (surtout pour ceux qui, comme moi, sont sensibles aux sons des langues), ne serait-ce pas, comme le soutient Le philosophe Raphaël Enthoven, une “agression de la langue par l’égalitarisme” ? Pour les amoureux de la langue, celle-ci n’est pas seulement un mode de communication et le véhicule de la culture, mais un art. Même si je m’efforce de rester objective, j’ai du mal à croire que tous.tes les écrivain.e.s et poète.sse.s seraient ravi.e.s d’appliquer tous les principes de l’écriture inclusive, notamment l’utilisation du point médian. 

De toutes ces questions, celle qui, selon moi, permet de s’orienter le plus reste celle-ci : faut-il politiser la langue ou la laisser évoluer au gré des évolutions de la société ? Avec peut-être une petite requête subjective et personnelle : pourrait-on, s’il vous plaît, ne pas toucher à la littérature ? 

Author’s Bio: Estelle est professeur de français langue étrangère, formatrice de professeurs de langues modernes et mentor. Elle est actuellement coordinatrice des langues modernes pour IHWO. Elle possède une licence d’anglais, un PGCE (diplôme d’enseignement secondaire) un CLTA en français et un DELTA de Cambridge, ainsi qu’un diplôme de mentor dans le secteur de l’éducation pour adultes. Elle travaille à Londres et présente régulièrement des ateliers, notamment pour la conférence en ligne de IH et s’intéresse particulièrement aux stratégies d’apprentissage.