Progrès et stratégies d’apprentissage : en parle-t-on assez ?

Estelle Hélouin

Les étudiants en parlent

Durant la conférence des directeurs pédagogiques cette année, le thème de la progression des étudiants est revenu à plusieurs reprises. Un sondage réalisé à l’échelle internationale faisait ressortir le progrès comme étant l’un des critères les plus importants d’un cours du point de vue les apprenants.

La progression va-t-elle de soi ?

Même s’il peut paraître évident, voir rassurant, que ce soit la principale préoccupation de nos étudiants, il semble qu’on ait souvent tendance à considérer cet aspect de l’enseignement et de l’apprentissage comme allant de soi. Mais la progression de chaque étudiant est-elle évidente (pour le professeur aussi bien que pour l’apprenant) ? Et peut-on aider les apprenants à progresser davantage et à prendre conscience de leurs objectifs, ainsi que des stratégies leur permettant de les atteindre ?

Suffit-il de donner des « trucs » à nos étudiants ?

En ce qui me concerne, les stratégies d’apprentissage occupent une partie importante de mes leçons. Je recommande souvent à mes étudiants des techniques pour réaliser les différentes tâches que je leur propose (comment et pourquoi écouter sans prendre de notes, comment communiquer en utilisant seulement la langue cible, comment exprimer ce que l’on souhaite quand on manque de vocabulaire etc.). Mais que deviennent ces recommandations ? Les étudiants ont beau hocher la tête, je me demande depuis quelques temps si, d’une part, ils prêtent (tous) attention à ces conseils et si, d’autre part, ils les appliquent. Et bien entendu, je m’interroge sur l’efficacité des techniques que je leur décris.

Mise à l’essai de quelques outils

Pour tenter de répondre à ces questions, j’ai tenté de formaliser ce trimestre les moyens que j’utilise et que mes étudiants utilisent pour réfléchir à leur progression et tenter de l’évaluer.

J’aimerais préciser, à ce stade, qu’il ne s’agit ni de mathématiques, ni de science, car je crois qu’il est impossible d’évaluer précisément sa progression. Je m’intéresse plutôt au sentiment général d’avoir progressé dans les différents domaines et aptitudes abordés.

Dans cette optique, j’ai choisi cinq classes de groupe et testé 3 approches différentes, que je décris plus bas.

Cibler les besoins et objectifs individuels

Dans deux de mes classes, de niveau intermédiaire fort, j’ai créé un « carnet de route » que les étudiants gardent avec eux. Il s’agit d’une feuille contenant un tableau très simple avec deux colonnes : une pour la date, une pour les commentaires et une explication du document (dans la langue des étudiants).

Pendant chaque classe et à la correction des devoirs, je note sur de petites étiquettes des commentaires et objectifs individuels, que les étudiants collent sur leur carnet de route à côté de la date. En fonction de la taille de la classe, je peux sélectionner plus ou moins la moitié des étudiants pendant une activité orale et les étudiants sont conscients que je ne leur donnerai pas des commentaires à chaque classe.

Les apprenants peuvent aussi écrire leurs propres commentaires et se fixer leurs propres objectifs (soit qu’ils remarquent eux-mêmes, soit provenant de remarques que j’ai faites à toute la classe et qui s’appliquent à eux). Ils peuvent aussi me poser une question quant à leur progression ou me demander un conseil.

J’ai décidé de ramasser tous les carnets de route en milieu de trimestre et à nouveau à la fin, pour voir si les étudiants les consultent et les annotent.

A la fin du trimestre, je leur proposerai aussi un questionnaire leur demandant leur opinion sur ce système et son utilité.

Sélectionner et appliquer des stratégies d’apprentissage

Dans une autre de mes classes, de niveau intermédiaire, j’ai créé un carnet de route similaire, mais leur demande à la place d’écrire eux-mêmes, chaque semaine, un commentaire décrivant une technique ou une stratégie qu’ils ont appliquée ou veulent appliquer et comment cela les a aidés ou peut les aider à progresser. Il peut s’agir d’une stratégie dont nous avons parlé en classe ou d’une idée qu’ils ont eue.

Ils peuvent également me poser une question ou me demander conseil et j’ai décidé de ramasser ces carnets de la même façon et de proposer aussi un questionnaire à la fin du cours.

Dans la quatrième classe, j’ai utilisé le même document et les mêmes instructions que pour la classe ci-dessus, mais en ajoutant régulièrement une description écrite des stratégies dont nous avons discuté, que je distribue aux étudiants. Ces descriptions détaillent à chaque fois le type d’aptitude visé (oral, écrit etc.), les raisons pour lesquelles ces techniques ou stratégies peuvent être utiles et comment les appliquer. Par exemple :

– Techniques pour communiquer sans utiliser de mot anglais ou d’anglicisme et sans vérifier de mot dans le dictionnaire.

– Pourquoi ? Parce que cela affecte la communication, parce qu’on ne peut pas utiliser de mots anglais avec des francophones ne parlant pas l’anglais etc.

– Comment ? En trouvant un synonyme, en expliquant le mot etc.

Recommandations orale

Dans la dernière classe, de niveau élémentaire, je n’ai utilisé aucun document écrit et me suis contentée de continuer à donner des conseils à l’oral aux étudiants (individuellement et à la classe entière) quant à leur progression et aux stratégies à leur disposition.

Je compte cependant leur donner le même questionnaire qu’aux autres, leur demandant ce qu’ils pensent de cette approche et de son utilité, en fin de cours.

Evaluation en cours

En ce qui me concerne, je ressens une différence par rapport à mon enseignement. Par exemple, je dois être plus stricte avec moi-même pour écouter chaque étudiant régulièrement pour pouvoir leur donner des recommandations individuelles. Ceci ne peut être que bénéfique pour les apprenants.

Quant aux classes se focalisant sur les stratégies, le fait de les écrire dans le détail ainsi que leurs justifications et les moyens de les appliquer me fait moi-même réfléchir à différentes stratégies et à de nouveaux moyens de les développer. Encore une fois, cela me semble très positif.

Le verdict devra cependant venir des étudiants. Ici, bien que n’ayant pas encore fini le trimestre ni récolté les opinions des cinq classes, j’ai déjà remarqué l’impact des différents outils sur les étudiants. Il semble que ceux à qui je « fixe » des objectifs, se contentent de les regarder, mais n’ont pas tendance à en ajouter eux-mêmes, ni à me poser des questions, alors que les deux classes se focalisant sur les stratégies ont non seulement complété régulièrement leur carnet de route avec des stratégies discutées en classe, mais ont rajouté des idées très utiles de stratégies auxquelles je n’avais pas moi-même pensé et que nous avons pu partager avec le reste de la classe. Un vrai bonheur !

…A suivre !

Author’s Bio: Estelle est professeur de français et formatrice de professeurs de langues modernes. Elle est actuellement coordinatrice de français pour le centre de ressources de IHWO. Elle possède une licence d’anglais de La Sorbonne, Paris, un PGCE (diplôme d’enseignement secondaire) un CLTA en français et un DELTA de Cambridge. Elle enseigne à IH Londres, dans une autre école pour adultes et en entreprise. Elle a aussi enseigné à IH Séville, où elle était responsable du département de français. Elle présente régulièrement des ateliers, notamment pour la conférence de langues modernes de IH Londres (MoLaCo), et elle s’intéresse particulièrement aux différentes aptitudes d’apprentissage, aux aptitudes réceptives et à la prononciation.